La Cour de justice de l’Union européenne a de nouveau eu à juger un des cas les plus épineux liés à l’application du règlement n° 261/2004 : la question des circonstances extraordinaires extrêmement difficile à apprécier.
En l’espèce, deux plateformes d’aide à l’indemnisation des passagers aériens avaient initié une action en justice à l’encontre d’un transporteur aérien portugais, la société TAP AIR PORTUGAL, sollicitant des dommages-intérêts suite à l’annulation d’un vol.
La compagnie aérienne a refusé cette demande, arguant que cette annulation relevait de circonstances extraordinaires réelles : le décès inopiné du copilote de l’avion peu avant le départ prévu du vol.
Très exactement, la société TAP AIR PORTUGAL devait assurer un vol Stuttgart-Lisbonne le 17 juillet 2019 à 6h05. À 4h15, le même jour, le copilote a été retrouvé mort dans son lit d’hôtel. Choqué par ce décès, le reste de l’équipage s’est déclaré inapte à voler. Dans un laps de temps si serré, la compagnie aérienne n’a guère pu trouver de personnel de
substitution en mesure d’assurer le vol immédiatement.
Finalement, les passagers ont été réacheminés plus de dix heures plus tard. Certains clients se sont montrés insatisfaits et ont donc mandaté des sociétés spécialisées dans l’indemnisation des passagers qui ont saisi une juridiction qui a condamné la société TAP AIR PORTUGAL à verser des dommages-intérêts, écartant l’existence de circonstances extraordinaires du fait de l’absence d’extériorité de l’événement en cause.
La société TAP AIR PORTUGAL a contesté le jugement depremière instance devant le tribunal régional de Stuttgart. Cette juridiction s’est montrée plus réservée, notant des disparités jurisprudentielles selon les pays : elle constate que la Cour de cassation française se montre beaucoup plus « généreuse » avec les passagers que les tribunaux néerlandais[1]. Cette controverse a incité le tribunal régional de Stuttgart à saisir la Cour de justice de l’Union européenne de la question préjudicielle suivante :
« L’article 5, paragraphe 3, du règlement n° 261/2004 doit-il être interprété en ce sens qu’il existe une circonstance extraordinaire au sens de cette disposition lorsqu’un vol au départ d’un aéroport situé en dehors de la base du transporteur aérien effectif est annulé, au motif que, peu avant le départ de ce vol, de manière inopinée et imprévisible pour le transporteur aérien, un membre de l’équipage affecté audit vol (en l’espèce : le copilote), qui a pleinement satisfait aux examens médicaux réguliers prescrits, décède ou tombe gravement malade au point de ne pas être en mesure d’accomplir le vol ? ».
L’analyse juridique de la Cour fut courte, preuve que la question préjudicielle ne posait pas de difficulté majeure à la juridiction européenne.
Aux termes de son arrêt, la Cour rappelle le régime réglementaire applicable aux circonstances extraordinaires et, notamment, le fait qu’il doit s’agir d’événements non inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappant à la maîtrise effective de celui-ci.
Elle précise évidemment que chaque situation doit faire l’objet d’une appréciation individuelle.
La cour s’intéresse alors plus précisément au cas de l’annulation du fait de la maladie ou du décès brutal d’un membre indispensable de l’équipage.
Elle estime que décès et maladie constituent tous deux un événement inhérent à
l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien effectif.
Dès lors, elle juge que l’article 5, paragraphe 3, du règlement n° 261/2004 doit être interprété en ce sens que l’absence inopinée, en raison de la maladie ou du décès, d’un membre de l’équipage indispensable pour assurer un vol, intervenue peu de temps avant le départ prévu de ce vol, ne relève pas de la notion de « circonstances extraordinaires », au sens de cette disposition.
[1] La Cour de cassation française avait effectivementrendu un arrêt en ce sens le 5 février 2020 à propos de la maladie d’un pilote
(Cour de cassation, 1re chambre civile, 5 février 2020, Numéro depourvoi : 19-12.294 ; Laurent SIGUOIRT, Transporteur aérien : retard de vol et fermeture nocturne d’aéroportversus charge de la preuve et notion de circonstance extraordinaire, LaSemaine Juridique Entreprise et Affaires n° 21, 27 mai 2021, 1259 ; Pascal
DUPONT, L’annulation d’un vol consécutiveà l’état de santé d’une passagère : un événement difficilement maîtrisable
pour un transporteur aérien, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n°24, 17 juin 2021, 1311 ; Ronny KTORZA, Unejurisprudence de la Cour de cassation de moins en moins protectrice des droits
des passagers aériens, Énergie – Environnement – Infrastructures n° 7,juillet 2020, comm. 23 ; Cour de cassation, 1re chambre civile,5 février 2020, Numéro de pourvoi : 19-12.297 ; Annulation d’un vol, Responsabilité civile et assurances n° 6, juin2020, comm. 118 ; Gaël PIETTE, Droitsdes passagers maritimes en cas d’annulation de voyage : avis de gros temps
pour les transporteurs, Responsabilité civile et assurances n° 11, novembre2021, comm. 215 ; Julien ICARD et Laurent SIGUOIRT, L’effet d’une grève
externe en droit du transport aérien, La Semaine Juridique Social n° 48, 30
novembre 2021, 1302). La Cour de cassation a ensuite rendu un autre arrêt assez
similaire le 17 février 2021 jugeant que la détérioration brutale de l’état de
santé d’une passagère enceinte ne justifiait pas automatiquement l’exonération
du paiement de l’indemnisation forfaitaire (Ronny KTORZA, La détérioration brutale de l’état de santé d’une passagère enceinte nejustifie pas automatiquement l’exonération du paiement de l’indemnisation
forfaitaire, Énergie – Environnement – Infrastructures n° 5, mai 2021,comm. 50).